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Loire 725: l’histoire du proto vainqueur du duo Olivier Drut / Arnaud Boesch

Le marseillais Olivier Drut, que j’ai plaisir à surnommer le “Géo Trouvetou du stand up paddle”, décrit pour TotalSUP le travail de réflexion, d’ingénierie et de shape autour de la planche de SUP Race qu’il a mise au point en vue de l’épreuve de la Loire 725 qu’il a brillamment remporté en relais avec son ami et coéquipier Arnaud Boesch en juin dernier. Avec une superbe 8è place au scratch (l’épreuve réunissait kayaks et SUPs) au terme d’une belle bataille qui aura duré 5 jours avec le duo Sébastien Saulenc / Hervé Barrière, on peut dire que la planche custom aux dimensions étonnantes (18′ x 22”) aura extrêmement bien fonctionné dans les conditions variées rencontrées sur les 750 kilomètres de cette course d’Ultra Longue Distance. Les trouvailles de cet ingénieur naval de formation le sont tout autant et devraient susciter l’intérêt et/ou le débat auprès des amoureux de shape !

Olivier Drut sur sa monture

“La Loire 725, c’est un peu comme la Dordogne 350 : on s’inscrit d’abord et on réfléchit après. Si on pense trop on arrivera vite à la conclusion que c’est totalement infaisable. Donc le temps de convaincre mon pote Arnaud Boesch de signer avec moi en relais et c’était parti. Nous avons eu le dossard n°5, c’est dire qu’on n’a pas tortillé à partir de l’ouverture des inscriptions.

Arnaud Boesch lors de la Loire 725

Ce détail administratif réglé, nous avons pu commencer à réfléchir au support. Passionné de grandes virées en SUP, pas spécialement sportif mais  possédant un petit bagage d’architecte naval, et fervent partisan du moindre effort, j’ai depuis le début des épreuves d’ultra longue distance en SUP cherché le moyen d’être dans la course sans m’arracher les bras. Ça a produit, entre autres, ce SUP trimaran issu d’une coque de kayak de marathon de 17′ x 12.5” qui m’a permis de finir la Dordogne 350km en moins de 3 jours en m’arrêtant tous les soirs à 20h pour aller au restau. Voilà pour la philosophie du projet.

Ce trimaran ne semblait par contre pas du tout adapté à l’idée que je me faisais de la Loire 725: coque creuse, fragile, encombrante dans les portages, débarquement compliqué le long d’un quai. Arnaud n’étant par ailleurs pas fan de cette machine, je me suis vite tourné vers un monocoque. Je voulais la planche de flat idéale: rapide, légère, stable pour ne pas fatiguer le rameur dans la durée, avec le moins de fardage possible en cas de vent contraire, un tirant d’eau réduit, et capable de naviguer vent de travers en allant droit, une qualité rare chez les grands SUPs et même les petits:

– Limiter le fardage (la prise au vent), c’est facile, on supprime tout ce qui dépasse de l’eau et qui, en flat, ne sert à rien à mon avis. Donc pas de volume devant ni derrière. Je garde juste un peu d’étrave pour fendre le clapot attendu en se rapprochant de l’embouchure du fleuve

– Réduire le tirant d’eau, facile aussi, avec un aileron arrière auto-relevable très inspiré de ce qu’on trouve sur les gonflables iDusi et maintenant les Surfpistols. J’ai mis pas mal d’angle sur le mien pour éviter d’accrocher les paquets d’herbes omniprésents sur la Loire. En bonus, ça facilite le relevage automatique quand, suite à une erreur de trajectoire, on se retrouve pris en travers d’une veine de courant plutôt que dans l’axe et que par conséquent l’aileron tape transversalement au risque de s’arracher.

– Pour que la planche soit  capable de naviguer vent de travers ou au près sans devoir ramer d’un seul côté en se déboitant l’épaule (une inépuisable source de tendinites pour moi), j’équipe depuis 10 ans tous mes protos d’une petite dérive ventrale très avancée, généralement un aileron de surf monté sur un plug fcs. Ça fonctionne très bien, je ne comprends pas que ça ne se développe pas plus que ça sur les SUPs de balade, ou a fortiori pour faire du WING SUP (c’est à dire sans foil).

En l’occurrence, sur le dernier bord de la L725, 30 km de Nantes à Paimbœuf, la météo annonçait un vent de ¼ face babord amure, qui allait dont pousser le nez de la planche vers la droite. J’ai donc monté un aileron asymétrique de surf, côté bombé à gauche, pour tirer le nez de ce côté. Grâce à ça et à la faible prise au vent de l’étrave sans volume, le flotteur est sur des rails, et la majorité de la puissance de rame passe dans la propulsion, et pas dans la correction de trajectoire connue et redoutée de tous ceux qui ont déjà ramé avec du vent pas dans l’axe.

– Pour réduire la trainée, je décide de partir sur une carène à la fois étroite et la plus ronde possible. Comme le rappelle Patrice Remoiville dans son excellent article sur le shape de planches de SUP Race: “la carène ronde est la plus rapide, car sa trainée d’eau est la plus faible, mais elle est la plus instable aussi (essayez de tenir debout sur un tonneau pour voir)”

C’est tout à fait vrai si on essaie de tenir debout SUR le tonneau. En revanche, si on perce un trou sur le tonneau de façon à pouvoir mettre les pieds dans le fond (et donc bien en dessous de l’axe de rotation du tonneau) ,  on imagine que cela deviendra immédiatement beaucoup plus facile. C’est cette voie que j’ai voulu explorer. J’ai alors eu la chance de rencontrer Marc Chailan, expert de la construction de kayaks de rivière, qui a acheté mon ancien proto de 18′ pour développer de son côté son propre SUP de longue distance, et qui après discussion n’a pas hésité à en défoncer le pont bien en dessous de la ligne de flottaison pour tester à la fois le gain de stabilité et un système d’évacuation d’eau par vide-vite inspiré de celui des surfskis. On sait que ça fonctionne sur ces bateaux, mais ils sont beaucoup plus rapides que les SUPs, et nous ne savions pas si la vitesse serait suffisante pour que la cuvette du SUP se vide. On a donc testé sur l’Ardèche, et très vite vu que ça marchait. Les pieds posés dans le fond du SUP, juste au dessus de la carène, le gain de stabilité est phénoménal, et si le cockpit, percé au fond d’un bout de manche de pagaie orienté vers l’arrière, se remplit à l’arrêt, il se vide assez rapidement dès qu’on avance.

C’est parti, je commence à avoir les idées claires sur ce que je veux, et notamment jusqu’où je peux pousser le bouchon rondeur x étroitesse en gardant une stabilité raisonnable.  Je me lance sur  22” de large à la flottaison, et 24.5” au-dessus, pour avoir un petit peu de stabilité secondaire à la gite. J’aurais volontiers opté pour une longueur de 20′ ou 21′,  mais la taille de mon garage me limitait à 18′.

 

La magie du truc, c’est qu’on peut désormais dessiner la totalité d’un SUP sur ordinateur  avec le logiciel shape3d, avec répartition des volumes, cockpit creusé, etc, bref ce que sera le pain de mousse complètement shapé, et le faire usiner en commande numérique. Au passage un grand merci à shape3d, une société parisienne qui a développé le meilleur logiciel de shape du monde, et est toujours à l’écoute des demandes d’ajouts de fonctionnalités, et surtout à AtuaCores, près de Bordeaux, plutôt spécialisée dans le préshape des surfs et wingboards, mais qui s’est totalement impliquée dans le projet et n’a pas hésité à sortir largement de sa zone de confort pour réaliser mon préshape géant.

J’ai donc reçu le pain de mousse, en deux parties de 9′ mais  totalement usiné à part quelques détails (preshape.jpg). Un collage, un peu de ponçage, un peu d’enduit, un peu de ponçage, un peu d’enduit, etc… Une couche de carbone-kevlar sur la carène, un peu de fibre de verre sur le pont, quelques raidisseurs de carbone de part et d’autre de la cuvette et un sandwich carbone-airex dans le fond, pour éviter que le sup ne se casse en deux dans le premier rapide, et voilà la machine prête pour les premiers essais.

À tout hasard j’ai bricolé un petit siège qui nous permettra, si la météo décidait de nous envoyer une dépression et un bon vent de face infranchissable en SUP, de transformer l’engin en kayak pour, au moins, essayer de finir la course assis. J’ai même investi dans une pagaie double, qui restera finalement dans le sac pendant la course, mais ça m’a permis de vérifier que l’engin marche aussi très bien en mode kayak, et que la position de rame semble raisonnablement confortable.”

Si  le travail d’Olivier vous intrigue ou suscite des questions, n’hésitez surtout pas à le contacter à l’adresse suivante: olivier[at]paddlespot.net

A propos de l’auteur

Mathieu Astier

Mathieu est le fondateur hyperactif de TotalSUP mais aussi un vétéran du marketing et de la communication web avec plus de 20 ans d'expérience aux côtés des plus grandes start-ups internationales. Son coup de foudre pour le Stand Up Paddle en 2013 l'a amené à construire l'une des principales plateformes d'information en ligne dédiées au SUP, en anglais et en français pour une audience mondiale, et à tourner sa vie de famille résolument vers l'océan.

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