Le vendredi 9 mai 2025 se tenait l’incontournable Dordogne Intégrale, version 130 km, entre Argentat-sur-Dordogne et Castelnaud-la-Chapelle. Une édition une nouvelle fois marquée par les victoires d’Emmanuelle Marcon et de Morgan Bénard, précédée la veille du Semi-Marathon (gagné par les deux mêmes !) et suivi le lendemain par la Hard-Roque. En SUP, 45 finishers dont 10 femmes et 8 nationalités représentées ont bouclé cette aventure unique.
Mais, pour une fois, on va changer un peu de mes interviews conventionnelles que je fais habituellement ici sur TotalSUP pour débriefer la course avec un rider sur le podium. Car oui, depuis plus de 3 ans que j’écris pour ce webzine, j’ai eu souvent l’occasion de parler de la DI. Que ce soit avec Pascal Blanc, Morgan Bénard, Christophe Mora, Emmanuelle Marcon… des visions de la compétition par ceux qui la gagnent, vous en avez déjà eu pas mal. Et moi, à force de les interviewer, j’ai eu envie de me lancer, et d’aller gouter par moi-même à l’aventure DI. Et je l’ai faite.
Alors, accrochez-vous, cette fois-ci, ça va être mon récit personnel de ma première Dordogne Intégrale : et vous allez voir, c’est assez différent entre une rameuse lambda comme moi et les super-héros de la pagaie précédemment cités ! (Et tous les résultats en fin d’article !)
Incroyable photo de Pascal Widemann, capturée depuis son… parapente ! Heureusement que je ne l’ai pas vu, sinon j’aurai passé la journée à me dire que j’aurais mieux fait de voler plutôt que de ramer 😜
Avant la compétition
La Dordogne Intégrale, pour moi, c’est un rêve depuis que j’ai commencé le SUP race. Quand j’ai fait mes premières courses loisirs sur ma planche gonflable en 2019, j’ai découvert tout un monde. Un monde où il y avait notamment des fous et des folles furieuses qui descendaient des dizaines et des dizaines de kilomètres de rivière sur leur planche, debout, pendant des heures, bravant des rapides et des gravières.
En 2022, j’ai commencé à mettre un pied dans ce milieu en faisant la DI en relais avec la Team Banane des Landes (les 40 derniers kilomètres de Souillac à Castelnaud) puis la Tawara, qui était une autre compétition de mes rêves. L’année suivante, la DI était en mode 360, puis, en 2024, des problèmes de cheville et un timing trop serré avec le Défi Wing ont retardé ma participation. Nous voilà donc en 2025 : cette fois, c’est la bonne ! J’avais envie de m’entrainer bien plus, mais le vent d’Autan a décidé que j’avais mieux à faire sur mon foil. C’est donc avec seulement trois sorties longues depuis le début d’année, et aucun vrai entrainement depuis plus de deux ans, que je me suis inscrite à la DI. Bonne idée ? Je vous laisserai juger dans la suite du récit.
Après quelques petits couacs d’organisation, c’est finalement mon père qui hérite du rôle d’assistance pour cette DI. À la base, je ne lui impose pas grand-chose : juste m’emmener au départ, puis venir me voir aux ravitos 2 et 4. Mais il finira par me suivre toute la journée… et avec le recul, je me rends compte à quel point sa présence m’a aidée, moralement surtout. Il signe d’ailleurs les photos un peu floues de cet article ! Comme on arrive depuis le Sud, on profite de remonter la Dordogne en voiture depuis Souillac pour repérer quelques points clés de la course. On s’arrête aux ravitos, à Carennac, à Beaulieu… histoire de prendre un peu la température. Sur place, je croise déjà quelques têtes familières comme Greg Bureaud qui me glisse quelques mots rassurants. Lors du briefing et de la remise des dossards, je retrouve Marie Pourreyron-Remoiville et Patrice Remoiville, tous les deux engagés en solo. Je croise aussi Fanny Tessier, la gagnante de l’édition 2022, qui accompagne cette année Éric et Laetitia Fontaine dans leur aventure. Ça y est, ça devient concret.
Pendant ce temps, sur mon téléphone, Gaëlle Paponnaud — la présidente de mon club de voile, le Club de Voile de Thoux Saint-Cricq, et Championne de France de SUP race soit dit en passant — poste un petit message sur ma participation à la DI et partage le lien du tracker à tout le club. Et là, les messages commencent à arriver. Des mots d’encouragement, des blagues (“on est Thoux avec toi !”), des petits emojis bien placés. Ça fuse. Et franchement, ça me touche trop. Je me rends compte que je ne suis pas seule dans cette histoire, que j’embarque du monde avec moi. Après un briefing terriblement efficace (c’est rare, merci la team DI !), on file à l’appart pour se poser un peu. Je regarde encore vite fait mon téléphone. Encore quelques messages, des news fraîches (apparemment “habemus papam”, ahah). Puis, allez, j’essaie de couper. Extinction des feux. Demain, on tente la Dordogne Intégrale !
La ligne de départ ! – Photo : Magali Colomes-Remoiville
Quand faut y aller, faut y aller
5h15, le réveil sonne, j’ai étonnamment assez bien dormi. Je mets quelques instants à capter : ah oui, c’est aujourd’hui que je vais tenter la Dordogne Intégrale. LA DORDOGNE INTÉGRALE ! J’ai beau tourner la question cinquante fois dans ma tête, j’ai du mal à comprendre comment je vais pouvoir ramer 130km, cent trente, c’est énorme. C’est presque le double de ma distance maximum déjà réalisée. J’estime mon temps autour de 13h, mais comment vais-je supporter de ramer autant de temps ? Tout ça c’est de la folie. Mais eh, on est là, on y va ! Après un (trop) rapide petit-déjeuner, c’est parti pour le stade d’Argentat-sur-Dordogne.
Il fait froid en cette matinée de mai, la voiture affiche 5°C. Je décide de partir bien bien habillée : long-john, veste néoprène et k-way étanche par-dessus. J’avais tellement peur de tomber et d’avoir le froid sur moi pour le reste de la journée, que je me suis dit qu’il valait mieux la jouer prudent avec les rapides de début de descente. Au moment de me mettre à l’eau, je suis surprise de voir quasi tout le monde partir en planche rigide : c’est une course de flat et on ne m’a pas prévenue ?! D’ailleurs, quasi personne ne porte de casque. Et moi, je suis là avec mon look de footballeur américain, du casque aux genouillères, et je me dis que je me suis surement un peu survendue le côté “eaux vives”. Mais tant pis, quand faut y aller, faut y aller ! Un dernier coucou à mon père en lui lançant « j’ai fait un quart du plus dur rien qu’en me levant si tôt » et c’est parti.
Le seuil de Beaulieu – Photo : mon père
KM0 – Des rapides et du fun
6h30, le départ est donné ! Je le rate complètement, croyant que les SUP devaient partir après les rameurs assis. Mais ce n’est pas grave : c’est parti pour l’aventure ! Les SUP disparaissent déjà au loin, et je prends tranquillement mon rythme : cadence assez lente mais relativement puissante. Pas besoin de sprinter, la route est longue ! Je découvre enfin en conditions réelles le comportement de mon aileron carbone déporté, fabriqué maison sur mesure (avec l’aide de mes copains de wing). Et franchement, c’est un vrai plaisir. Il me donne de la stabilité, de la direction, de la confiance. Un vrai kif. Le premier rapide un peu sérieux, le Malpas, arrive assez vite. Je le passe sans encombre, presque trop facilement. Je ne vais pas dire que je suis déçue… maaaaais un peu d’adrénaline aurait aidé à me réveiller !
Très vite, ma playlist inconsciente se réveille dans ma tête. Une sorte de radio mentale qui ne me quittera plus de la journée. Ces morceaux-là m’ont permis de repousser certaines pensées, de faire défiler les kilomètres sans trop réfléchir. De bon matin, c’est « Aux Champs Élysées » qui lance le bal – sûrement à cause de ce « j’me baladais » qui colle un peu trop bien au contexte ! Heureusement, on a vite viré vers du plus pop rock. Tout au long de la journée, surtout dans les moments où tout roulait, ce sont Lady Gaga, Muse, Superbus, Dire Straits ou encore Midnight Oil (oui, je ne sais pas trop non plus où ma tête est allée chercher ça) qui m’ont accompagnée.
Le seuil de Beaulieu – Photo : mon père toujours
Le second rapide, le Battut, se profile. Même chose : je le passe sans encombre. Je suis en confiance, je m’amuse. Et voilà déjà Beaulieu, qui donne un premier superbe paysage de ville au bord de l’eau. C’est un point de relais, alors tout devient très flou au niveau des positions des autres compétiteurs. Certains s’arrêtent, changent de planche ou de rameur, d’autres repartent aussitôt… J’ai l’impression d’être dans les derniers, mais je ne suis pas si sûre.
Pour passer le fameux seuil de Beaulieu, je serre fort à gauche pour passer dans la passe à canoë. Quand j’arrive à niveau, une dame me dit de plutôt passer au milieu. Trop tard, ma décision était prise et j’étais déjà dans l’axe de la passe. Et bien, comme repéré la veille, la descente s’est faite toute en douceur et sans aucune touchette. Parfait ! Quelques secondes plus tard, j’entends des gros fracas de planches rigides retournées par la descente du seuil. Je l’ai échappé belle ! Le petit chenal de contournement de la Dordogne est un vrai régal, et quasi un de mes meilleurs moment de la compétition. Ça va vite, les arbres sont proches, je les esquive, ça remue un peu : je m’éclate. Je m’éclate tellement qu’au moment où ce bras se jette dans la Dordogne, je prends mon premier (et unique) bain de la DI. Pourtant je le savais, je l’avais “révisé” ce passage ! Mais distraite par un bâillement, c’est le plouf.
Régalade sur le contournement de la Dordogne – Photo : mon père
KM35 – Enfin des SUP !
Au premier ravito, où je ne m’arrête pas, je revois enfin des SUP. Quelques minutes plus tard, c’est Patrice et Marie qui me rejoignent et me racontent leur début de course. On échange nos calculs pour savoir si on est dans les temps et on conclut par “on verra”. Patrice (merci) m’enlève une belle guirlande d’algues que je me traine depuis surement très longtemps : j’ai l’impression d’avoir un coup de boost ! Néanmoins, le couple le plus stylé du SUP race reprend rapidement son rythme pour retrouver Aurore Ravez, elle aussi en 3Bay, quelques centaines de mètres devant.
La suite se déroule sans encombre, le débit ralenti et on sait ce qui nous attend : la digue de Carennac. C’est un seuil artificiel qui parait assez impressionnant, et qui, sous certains débits d’eau, créé une vague surfable pour les kayakistes. Deux options s’offraient à nous, un portage par rive gauche, ou un franchissement (une passe à canoë existe rive droite, mais elle n’était pas praticable). Le groupe des SUP devant moi hésite, deux partent au portage, et la team 3Bay se lance dans la descente. Moi, le choix était clair depuis même mon inscription (haha) : pas de portage ! En suivant les indications du kayakiste de la sécu, je suis descendue sans encombre, sans touchettes… tellement que j’aurai bien aimé refaire un petit tour de toboggan ! Carennac, c’est fait !
La digue de Carennac en fond, je suis au milieu en second plan – Photo : Magali Colomes-Remoiville
KM45 – Carrément dans les temps
Avec ceux qui sont allés au portage, les cartes sont une nouvelles fois rebattues. Je me fais de nouveau doubler par des SUP et, un rider, dont je ne connais le nom, m’apprends que, en fait, je suis 4ème chez les femmes, et que j’ai même été momentanément 3ème ! J’ai du mal à le croire, tant je suis déboussolée quant à ma position en course. Il m’assure que si je double Aurore et Marie, que l’on voit 200m devant nous, je serai deuxième. Même si je ne suis pas là pour le classement, ça fait toujours plaisir de se savoir dans la compétition. Néanmoins, je lui assure ne pas vouloir accélérer tant j’ai peur de ne pas avoir les capacités physiques de terminer. Et puis, face à leurs belles 3Bay rigides (une Inezic en 22’’ pour Marie !), j’aurais eu du mal à lutter sur ma Starboard gonflable, aussi cool soit-elle.
Ce rider s’envole et je ne le reverrai plus. Une fois sa compagnie partie, et la rivière devenant de plus en plus calme, je commence à remarquer un truc poindre dans mon cerveau : je crois que je m’ennuie. Je me secoue en me disant “eh oh Laurie, t’es en train de faire la Dordogne Intégrale là ! En plus il fait soleil et les paysages sont beaux !” mais, je ne peux pas m’empêcher de me trouver lente. Après le 50ème kilomètres, Christophe Bancelin (du Paddle Vassivière Club et organisateur des 10h de Vassivière) me rattrape et m’offre sa compagnie quelques instants. On discute et je lui dis que là, mon principal problème, c’est l’ennui. Il a l’air surpris. Avec du recul, dire ça à l’organisateur d’une compétition qui consiste à ramer durant 10h sur des boucles sur un lac, c’est vrai que ce n’est pas forcément très entendable ah ah. (Bien que j’adore les 4h et 10h de Vassivière et je compte bien y revenir un jour !) Je remarque d’ailleurs son casque à conduction osseuse : c’est surement plus cool qu’une playlist mentale ! Je lui parle de mes calculs alambiqués pour savoir si je vais passer les barrières horaires, et il me dit que je suis « carrément dans les temps » et que je peux même prendre une pause d’une heure si je veux. Rassurant ! Il part ensuite rejoindre le groupe des 3Bay and co, et le chemin se poursuit. Je reste à équidistance du groupe des SUP de devant moi jusqu’au 60ème kilomètre et le deuxième ravito.
Team casque bleu avec le kayakiste de la sécu à Carennac – Photo (un peu flou) de mon père
KM60 – Première pause
Me voilà au ravito du Pont de Gluges. Le groupe de SUP repart (très) vite après mon arrivée et je comprends que je ne les reverrai jamais. De mon côté, je me permets une pause, prévue, calculée. Je change de tenue car je commençais à avoir bien chaud dans mes habits “d’hiver” du matin et je profite pour prendre un Doliprane et une tonne de crème anti-inflammatoire pour prévenir mes petites douleurs qui commencent à poindre de ça de là. Et, bien sûr, le but de ce ravito, était quand même de manger un peu.
J’avais beau avoir planifié toute ma nutrition sur un fichier Excel, calculer les calories et les glucides par heure, prévu ce que j’allais manger, où et quand… Et bien entre la théorie et la pratique, il y a un monde. Je n’arrivais à rien avaler, même pas mes barres habituelles. Je me suis rabattue sur des chips et des dattes, pas forcément l’idéal mais, au moins, ça passait. Il n’y avait plus qu’à espérer que ça suffise à m’emmener au bout, avec un petit coup d’Ice-Tea pour le sucre.
Je dis à mon père de manger mes wraps, vu que je suis sûre que je ne les mangerai pas (pour son plus grand plaisir ah ah), et il faut y retourner. Au moment de me remettre à l’eau, je vois le binôme Patricia Moulin (avec sa casquette TotalSUP !) et Virginie Osvald s’arrêter. Je me dis qu’alors c’est vrai, je ne suis pas si loin dans le classement ! Je repars motivée.
La team 3Bay au premier plan, moi qui essaye de suivre derrière – Photo : Magali Colomes-Remoiville
KM65 – Rave Party
Mais je repars… seule. Personne devant, personne derrière. Et franchement, c’est pas si mal. Le calme, juste le bruit des oiseaux, de l’eau et de ma pagaie que j’essaie de garder la plus silencieuse possible. Pas de rameurs qui parlent (très) fort en pensant que personne ne comprend leur langue (ahah). Pas de stress de tenir une cadence de rame autre que la mienne. Je peux me parler à voix haute sans passer pour une folle, faire des pauses techniques en paix, et même en profiter pour chanter ma playlist mentale sans public.
Les premiers kilomètres en solo passent tout seuls. Il fait beau, il fait bon, et punaise, je suis en train de faire la Dordogne Intégrale ! Je m’occupe l’esprit : j’imagine déjà l’apparition magique de la Roque-Gageac, puis mon arrivée triomphale, le château de Castelnaud en toile de fond. Je pense à tout ce que je vais dévorer une fois que j’aurai retrouvé l’appétit. Je me surprends à déjà penser à la prochaine course d’ultra que je pourrais faire…
Et puis… BOOM BOOM BOOM. D’un coup, au milieu de nulle part, j’ai l’impression de tomber en plein dancefloor. Les basses résonnent à travers la vallée et viennent caler mes coups de pagaie. Je rêve ou quoi ? En tout cas, ça me donne une excuse pour remuer un peu plus que les bras, et pour esquisser quelques pas de « danse » sur ma board. Mais pas de soucis d’hallucinations, je ne rêvais pas : plus tard, j’apprendrai qu’une rave party géante avait lieu à Montvalent. Ce n’était donc pas (que) dans ma tête ! D’ailleurs, je ne sais pas ce qu’ils écoutaient là-bas, mais, de mon côté, on reste un peu plus rock et ma playlist mentale balance, en synchro sur le rythme, “I Just Can’t Get Enough” de Depeche Mode. Ironique, parce qu’à ce stade… je commence à en avoir un peu enough de ramer.
Avec Christophe Bancelin – Photo : mon père
KM75 – Le creux de la vague
Je m’éloigne de la fête et me voilà de nouveau vraiment seule. Ça fait plus d’une heure que je ne vois personne ni devant, ni derrière. Même mon père doit galérer à s’approcher de la rivière car ça fait un moment que je ne l’ai pas vu. Je commence à me demander si je suis toujours sur le parcours de la DI, et mon “c’est long” devient “c’est dur”. Pas (trop) physiquement, mais mentalement. Comme je le disais précédemment : seule, c’est chouette, mais seule c’est aussi entendre fort ses pensées. TROP fort. Et les pensées positives ont vite fait de devenir toutes noires. J’ai l’impression que je n’avance pas. Je n’arrête pas de me dire que je n’en suis qu’à la moitié, qu’il faut refaire tout ce que j’ai déjà fait. Je commence à penser que je vais être limite aux barrières horaires, que je ne vais pas y arriver, que je suis nulle… Tout me semble déprimant. Mais qu’est-ce que je fais là ?
Je rame, mais je suis mal. Et je suis seule. Il n’y a que moi-même pour me relever. Alors je fouille dans tout ce que j’ai en moi. Je pense à ceux qui me suivent en direct sur le tracker, ma famille, mes amis, mon club, à qui j’ai bombardé le lien les jours précédents pour donner un côté concret à cette aventure. Je les liste dans ma tête un par un, je ne peux pas les décevoir. Je pense aussi aux gens qui ont subi ma panique et mon stress les jours précédents, en particulier les gars de mon club de voile. Je ne peux pas les avoir soulés comme ça pour après ne pas réussir ma course !
Et puis je pense à moi. A un exemple très récent où, la semaine passée, j’ai réussi à wakefoiler une vague de voilier alors que je croyais que c’était impossible. Si ça c’est finalement réalisable, pourquoi pas la DI ? Puis je pense à ces 80 kilomètres que j’ai déjà laissés derrière. 80 ! C’est déjà fou. Et maintenant, chaque coup de pagaie, chaque mètre, c’est un nouveau record perso. Je relève la tête. Je me dis que si j’ai tenu jusque-là, je peux tenir encore un peu. Juste un kilomètre. Puis un autre. Je m’accroche à cette idée simple : continuer d’avancer, c’est déjà gagner. Et après quelques moments interminables, j’arrive enfin au ravito de Souillac. Qui était plutôt au kilomètre 88 sur ma montre, pas 85 comme lu sur le RiverBook. Trois kilomètres de plus… qui piquent un peu.
Photo : mon père
KM88 – Nouveau souffle
A Souillac, je retrouve mon père mais aussi Fanny, qui arrivent à me remotiver. C’est la barrière horaire de 16h, et j’ai environ 45min d’avance, ouf. Après avoir vu personne pendant si longtemps, je me rends compte que beaucoup de ceux que je pensais devant sont en fait derrière, et que je n’étais pas loin de rattraper pas mal de monde. Quelques dattes et un peu de crème anti-inflammatoire, et je repars en premier de tout ce petit monde, le cœur vraiment plus léger.
Je rame de nouveau seule, mais je vois que mon élan a refait partir pas mal de monde derrière moi au ravito. Je calcule et je sais que, sauf catastrophe, je devrais passer la deuxième et dernière barrière horaire avec un peu de marge. Comme dit à Fanny quelques minutes avant « de toutes façons, je n’abandonnerai pas, il faudra me faire sortir de l’eau ! ». Je reprends du plaisir à ramer et j’avance, les kilomètres défilent plus vite maintenant. Des kayakistes partis peu après moi à Souillac me rattrapent progressivement, et ça donne lieu à quelques échanges bienvenus. On se rigole, on discute quelques minutes avant que chacun reprenne son rythme… et on se dit aussi : « Mais en plus, on a payé pour faire ça !? » Et oui. Et pourtant, on est là, et beaucoup seront là aussi encore l’année prochaine et les suivantes !
Autour de moi, les paysages commencent à changer. On entre dans une partie plus encaissée de la vallée, avec d’immenses parois rocheuses de chaque côté. Des falaises impressionnantes, habillées de lianes, rendent l’ambiance presque tropicale. Impossible de ne pas penser au slogan du t-shirt de cette édition : « Welcome to the jungle ». J’ai Guns N’ Roses dans la tête, et ça me booste ! J’aperçois aussi des grottes, des cavités dans la roche, des petits coins sauvages juste au bord de l’eau. C’est dépaysant. L’ennui ? Quasi envolé. À ce moment-là, la Dordogne retrouve sa part de magie.
On retrouve le smile ! – Photo : mon père
KM95 – Douleurs et doutes
Vers le kilomètre 95, je me prends un nouveau mur. Mais cette fois, ce n’est plus (que) le mental : c’est physique. À chaque coup de pagaie, des décharges électriques me remontent des doigts jusqu’au coude. Mon bon vieux syndrome du canal carpien a décidé de faire son grand retour ? C’est assez ironique, car c’était l’une des douleurs dont je pensais vraiment m’être débarrassée, alors que pendant ce temps, ma cheville et mon épaule ne m’embêtent pas plus que d’habitude.
Je pleure un peu, mais en fait je suis tellement dans mon effort que seule une micro larme sort. Et d’un coup me vient «… pourquoi je pleure ? ». Tiens, ça y est, ma tête est passée en mode Starmania. Comme je suis seule, je me lâche, et je lance mon « SOS d’un terrien en détresse » à tous les oiseaux sur mon passage. Un héron me dévisage sur mes envolées lyriques plus ou moins dignes de Balavoine, et je pense à cet article que je rédigerai si j’arrive au bout, en me demandant : « Est-ce que j’oserai vraiment écrire que j’ai chanté Balavoine sur ma planche ? » Apparament, oui. Je décide de ramer à genoux, puis carrément assise, pour alterner l’angle de rame et soulager un peu mes douleurs, tant pis pour les puristes du SUP (et après tout, y a pas mal de monde qui m’a doublé en ramant assis dans les rapides le matin, alors je ne vais pas m’en priver là maintenant que j’en ai besoin). A chaque bip de ma montre, je vois que mon allure ralentie. Je recalcule et je suis prise de doutes : est-ce que je vais vraiment la passer cette barrière horaire ? Faut pas faiblir. Alors j’avance, dans le dur, mais on y va. Mais franchement, plus jamais ça (chose que je contredirais dès le lendemain).
Glassy glassy la Dordogne – Photo : mon père
KM108 – Téléphone Maison
Je passe la dernière barrière horaire, le ravito de Carsac-Aillac, avec 30 minutes d’avance. C’est serré à mes yeux, mais ça passe. Mon père m’attend, au téléphone avec ma sœur. Je lui prends des mains pour lâcher d’une traite : « Margaux, c’est troooop duuuur ! Mais ça va le faire hein, mais c’est trop dur ! » On discute un peu, elle me remotive, et je profite de cette petite pause bienvenue. Même routine : dattes, ice tea et crème anti-inflamatoire.
Soudain, je vois deux jeunes en SUP race qui débarquent, l’air super frais, enfin, en apparence en tous cas, sur leurs belles Starboard Sprint. Tellement frais que je suis persuadée qu’il s’agit d’un relais. Je me dis : « Oula, il est temps que je reparte… » Mais non, ce n’était pas un relais, c’était deux jeunes qui faisaient leur première DI, en solo, à tout juste 15 ans ! Incroyable. Sascha Knoll du club de Vassivière et Antonin Mercier du club de Laval, finiront la DI en 13h40. Un énorme bravo à eux !
« Papa, cette fois, on se revoit à l’arrivée ! » Rien que le fait de prononcer ces mots me redonne de la force. Je sens que le mental prend le relais. La douleur est toujours là, bien présente, mais elle ne commande plus. C’est moi qui tiens la pagaie, maintenant !
Sacha et Antonin
KM120 – P**** je vais finir la Dordogne Intégrale
C’est à ce moment-là que je le réalise vraiment : je vais la finir, cette Dordogne Intégrale. Après plus de 12 heures sur l’eau, tout bascule dans un état de grâce, la fatigue laisse place à une forme d’euphorie. Le soleil commence à décliner, baignant les paysages d’une superbe lumière dorée. Les châteaux perchés, comme celui de Montfort à Vitrac que je n’avais jamais vu avant, semblent sortir tout droit d’un conte. Tout est presque trop beau pour être vrai. Je rame toujours, portée par la beauté du moment, et je me dis « Profites Laurie, tu ne feras pas ça tous les jours, et peut être même plus jamais ! ».
Les derniers kilomètres défilent et j’essaie de deviner, à l’orientation du soleil, après quel virage La Roque-Gageac va apparaître. Ce village, c’est mon Graal. Je l’attends depuis des heures, m’accrochant au souvenir de mon relais Souillac-Castelnaud de 2022. Et soudain, il est là. Après près de 18 000 coups de pagaie, je l’aperçois. Plus beau encore que dans mes souvenirs. Peut-être parce que cette fois, j’ai 125 kilomètres dans les bras. Le décor est irréel : sans vent cette fois, la Dordogne reflète tout avec une précision magique. Pour couronner le tout, des montgolfières s’élèvent lentement dans le ciel, comme pour saluer l’exploit. Je revis. Les douleurs ont disparu, l’ennui aussi. Tout ce que j’ai traversé semble soudain lointain, dépassé. Je retrouve du rythme et du plaisir à ramer. Castelnaud-La-Chapelle approche. Dernier virage, je peine à contenir mon émotion, ça y est, je vois le pont, puis le château. Et puis, je les entends : les applaudissements, et Thunderstruck d’AC/DC qui résonne — cette fois, ce n’est pas dans ma tête. Je franchis la ligne, bras levés et grand sourire aux lèvres. Wow. C’est fait.
Les paysages de la Dordogne – Photo : mon père
KM127 – Je l’ai fait !
Et c’est donc au bout de 13h23 d’effort, dont 12h30 de déplacement effectif selon ma montre, que je passe la ligne d’arrivée de cette Dordogne Intégrale 2025. 6ᵉ femme au classement, et — j’en fais un titre non officiel mais très personnel — première en planche gonflable ! Mon père est là pour m’accueillir avec mon manteau, ainsi que quelques accompagnants qui attendent les derniers finishers. À peine arrivée, j’entends au micro que les podiums vont bientôt commencer… oups, pas en retard, mais pas loin !
Je troque mon dossard contre un jeton pour une boisson – j’avoue, j’aurais préféré une médaille de finisher, c’est mon petit côté matérialiste assumé. Je m’assois quelques minutes, j’essaie de savourer l’instant : je l’ai fait, j’ai terminé la Dordogne Intégrale. Mais très vite, la fraîcheur me fait revenir sur terre et m’emmène à aller me changer et ranger mon matos. Alors après un bon repas bien mérité, il est temps de reprendre la route, avant que les douleurs ne me rattrapent complètement.
Un immense merci aux organisateurs et à tous les bénévoles pour cette aventure hors norme, bien plus qu’une course. À ceux sur l’eau, comme les kayakistes de la sécurité, tellement attentifs que je ne suis jamais tombée sur les passages « délicats ». À ceux des ravitos, qui vivent eux aussi une journée marathon. À ceux qui lisent ton dossard à la vitesse de la lumière pour te lancer un « Allez Laurie ! » comme si on se connaissait. À tous, merci. L’organisation est vraiment carrée, et ça fait toute la différence.
La DI, c’est fait ! – Photo : mon père
Et maintenant ?
Si j’ai réussi à faire la DI, alors beaucoup de monde peut le faire. Mais attention : cette course vous emmène loin dans vos retranchements. C’est une aventure en dents de scie. Il y a des moments de pur bonheur, mais aussi des creux où il faut pouvoir supporter sa propre compagnie.
J’ai fait plus de la moitié de la course complètement seule. Et même si je suis plutôt du genre solitaire, je pense que partager la rame avec quelqu’un pour s’épauler, s’encourager, relancer le rythme… ça peut faire une vraie différence. Et clairement réduire les pauses, qui, dans mon cas, ont totalisé presque une heure. Mon temps de rame en soi est correct, mais l’accumulation des arrêts, ça se sent à l’arrivée.
Si je devais la refaire ? Déjà, je m’entraînerais un peu, ce serait un bon début. Je me préparerais une vraie playlist avec un casque pour accompagner les longs moments de solitude. Côté nutrition : plus de chips, moins d’Excel ? C’est une question à réellement travailler, et sur des sorties plus longues que 3 ou 4h, car, en réalité, ça change tout. Tout comme le mental, comment se préparer à l’ennui, la lassitude, le manque de confiance, les douleurs ? Je ne sais pas vraiment, mais je vais me renseigner. Et, au final, le meilleur dans tout ça ? C’est peut-être bien que je n’ai pas touché à mon téléphone pendant près de 14h, chose que je croyais impossible aussi ahah. Ça fait du bien cette déconnexion, et sûrement à certains de mes contacts aussi 🤣
Libéréééée, délivréééée – Photo : encore et toujours mon père
J’ai mis autant de caractères que de coups de pagaie (véridique) pour raconter cette journée, mais, la Dordogne Intégrale, il faut la vivre pour la comprendre pleinement. Et pour ça, rendez-vous le vendredi 8 mai 2026 pour le Semi-Marathon et le samedi 9 mai pour la DI130 ! On s’y retrouve ?
Bloquez la date ! Le 9 mai prochain, la Dordogne Intégrale revient pour une nouvelle édition, avec ses 130km, son lot de défis et ses paysages fantastiques. Et pour ceux qui en veulent encore plus, le Semi-Marathon (21 km) se tiendra la veille, tandis que la Hard-Roque (Castelnaud – Cénac en aller-retour) viendra clôturer le […]
The Lake Rocks Festival makes a powerful return to Faaker See in Carinthia, Austria on 29 May – 1 June! As a key stop on the prestigious SUP Alps Trophy racing series and part of the ICF World Ranking Series, this event has quickly become a must-attend for the global SUP community. With the world’s […]
Épreuve de référence en ultra-longue distance, la Dordogne Intégrale (DI) est une aventure unique qui met à l’épreuve aussi bien le physique que le mental des compétiteurs. Avec ses 130 km de descente entre Argentat et Castelnaud, cette course exige une bonne préparation, tant sur l’eau qu’en dehors. Chaque édition apporte son lot de défis […]
As we’re publishing this story, Emmanuelle Marcon, the 2024 Ultra SUP Race French Champion, Vice World Sprint Champ SUP, Coach at Pure Paddle Fitness and expedition guide, will be gearing up to power through the rapids of the Marathon des Gorges de l’Ardèche , the 36km race in the southern Ardèche region of France. She’ll be […]
Alexandre Nogueira is the dynamic force behind the Molokabra event, a groundbreaking annual all-craft week-long downwind competition in Fortaleza, Brazil, set to take place this year from August 30 to September 8. The 2024 Molokabra promises to be extraordinary, showcasing the state of Ceará, Brazil’s premier SUP, SUP foiling and paddling downwind destination. The event’s […]
Préparez-vous, le Yaka Paddle Festival 2024 arrive à grands pas ! Le dimanche 25 août, la Pointe des Blagueurs de Larmor-Plage accueillera la troisième édition de cette évènement festif, sportif et solidaire. Organisé par l’association Le Monde de Yannael, le Yaka Paddle Festival soutient les enfants en situation de handicap lourd : toutes les inscriptions […]
La semaine dernière, le dimanche 9 juin, avait lieu la Tarn Water Race, la mythique descente du Tarn à la rame dans des paysages à couper le souffle. Pour cette édition 2024, les lois de la météo ont une nouvelle fois été dures avec les organisateurs, qui ont du faire preuve d’une grande capacité d’adaptation […]
Partenaires dans la vie, partenaires sur l’eau, Laetitia et Eric Fontaine, un couple de jeunes cinquantenaires de Capbreton, ont relevé un défi hors norme le mois dernier en participant à la Dordogne Intégrale 2024. Cet événement annuel incontournable pour les fans d’ultra endurance, a adopté une nouvelle formule en proposant désormais un festival des sports […]
Le Tour de l’île Vertime 2024 s’est tenu le samedi 25 mai aux Sables d’Olonne, en Vendée. Déjà un événement annuel incontournable, cette course, qui connait un succès populaire fulgurant en à peine deux éditions, a de nouveau attiré un grand nombre de participants, passant de 150 en 2023 à près de 250 cette année. […]