Le mois dernier lors de la 10ème édition du SUP 11 City Tour aux Pays-Bas, Frédéric Bonnef, le rider de Fanatic, est allé au bout de ses 220 kilomètres avec les tripes et le mord aux dents. Pour cet ex-pro du windsurf et l’un des premiers SUP racers français de niveau international, privé de sports nautiques suite à un grave accident qui l’avait justement empêché de participer à la mythique course hollandaise en 2013, cet événement est une belle revanche sur la vie. Il se livre aujourd’hui sur son histoire, sa course, ses émotions et une chose est certaine, avec une très belle performance sur le plan sportif, il a repris goût à la compétition!
Photo prise par Manu Morel
Salut Fred, tu es finisher du SUP 11 City Tour 10ème édition, ça fait quoi ?
C’est la fin d’une belle aventure ponctuée par une victoire personnelle. Plus le challenge est dur, plus arriver au bout représente une véritable satisfaction. Dans mon cas il y a aussi une longue histoire derrière. J’aurais voulu arriver au bout de ce challenge il y a six ans, mais la vie en a décidé autrement. Être finisher aujourd’hui est pour moi une belle revanche.
Peux-tu nous rappeler ton parcours et notamment ces dernières années suite à ton grave accident de voiture ?
Je suis sur l’eau depuis toujours, je viens de la voile, j’ai la mer dans le sang, et tout ce qui se passe sur l’eau m’intéresse.
Apres avoir passé mon brevet d’état et quelques voyages où je tentais de concilier boulot et entrainement en windsurf, je me suis installé en Espagne, à Tarifa en 2001. J’ai été windsurfeur pro entre 2002 et 2007, puis je me suis mis au SUP très tôt, dés 2006. Je suis tombé complètement amoureux du SUP en surf et j’ai par la suite participé à la plupart des premières courses de SUP race en Europe, en décrochant quelques bons résultats, comme le titre de champion Eurosupa en longue distance 2011, une victoire en Hollande, une seconde place à Hyères, une troisième place à Crozon, quelques victoires régionales en SUP surf, et une onzième place en longue distance sur l’APP de la Torche en 2012 .
Une semaine après la Torche, je participe à une compétition de SUP surf en Méditerranée que je remporte, et en revenant chez moi, j’ai un accident de voiture qui me change complètement la vie. Je percute de plein fouet et à 110 kilomètres/heure sur l’autoroute un camion qui roulait en sens inverse de la normale. Endormissement selon le conducteur, mais tous les éléments portent à croire à la tentative de suicide. La conséquence est la même pour moi :
18 fractures, la plupart ouvertes, sur le corps entier. Des blessures extrêmement graves aux jambes, faisant penser à de nombreuses reprises aux chirurgiens qu’il vaudrait mieux amputer la jambe droite. La jambe gauche était également en piteux état. Les rotules, fémurs, tibias et péronés des deux jambes sont explosés, broyés. Personne ne pouvait s’imaginer à l’époque que je puisse un jour remarcher normalement et supporter les douleurs…
Pour ce qui est de faire du sport, on était plus au niveau de l’utopie, et refaire de la compétition à haut niveau représentait un doux rêve totalement inaccessible. Mais je suis un grand rêveur, j’aime le combat et j’ai appris à souffrir. Depuis mon lit d’hôpital je voyais tous mes potes réaliser des exploits sur l’eau, gagner des compétitions, vivre leurs rêves. J’étais dans un double sentiment : j’étais content pour eux, et en même temps, j’avais VRAIMENT la haine. Comme je le dis souvent, j’étais un animal blessé, prêt à tout pour survivre. Je me suis dit que c’était le combat de ma vie, et que ce serait tout… ou rien.
J’ai concentré toute ma vie autour d’un seul objectif : ma rééducation. J’ai mis deux ans à retourner sur l’eau et à être capable d’aller surfer des vagues imposantes au Pays Basque. Un miracle selon certains. Juste beaucoup de travail en rééducation, de gestion de douleur, d’entrainement, et de volonté selon moi.
J’ai repris la compétition en SUP surf quatre ans après, atteignant deux années de suite la finale du championnat d’Espagne chez moi en Andalousie, sur l’épreuve la plus connue : l’Open de la Yerbabuena. J’ai recommencé à faire quelques compétitions en windsurf, pour le plaisir et sans être ridicule. Mon prochain objectif est d’essayer de refaire quelques résultats en SUP race, malgré mes handicaps et les nombreuses séquelles.
Cela faisait longtemps que tu voulais aller au bout de ce challenge, quelles étaient tes motivations avant l’événement ?
Je m’entrainais beaucoup en longue distance avant mon accident, pour mémoire, Ibiza/Denia, cent kilomètres, aller et retour Europe/Afrique, etc…
Le SUP 11 City Tour était l’objectif que je m’étais fixé juste avant d’avoir l’accident. Quand j’étais à l’hôpital et que la course a eu lieu sans moi en septembre 2012, c’était l époque où j’enchaînais les opérations pour tenter de sauver ma jambe droite. Je me suis promis que si je m’en sortais je la ferais un jour, même si ça devait me prendre 20 ans et j’ai finalement tenu cette promesse plus tôt que prévu…
Cette course a été particulièrement traumatisante, on t’a vu frigorifié, cassé mais tu es allé au bout… Où as-tu trouvé les ressources pour atteindre ton but ?
Au mental. J’ai appris pendant toutes les années qui ont suivi l’accident trois choses qui m’aident maintenant tous les jours : gestion de la douleur, capacité de relativisation, utilisation des ressources mentales en relais du physique. En plus de cela j’ai toujours été un peu guerrier dans mon approche du sport. Il m’a fallu tout ça pour arriver au bout car je suis tombé malade le troisième jour, et les deux derniers ont été un véritable enfer.
Peux-tu nous donner quelques anecdotes autour de ton aventure hollandaise ?
Il y en a énormément. D’abord l’émotion d’être au départ avec certains des meilleurs de la discipline et des potes comme Ricardo Haverschmit avec qui nous étions déjà en compétition avant mon accident. Ensuite, la nuit sans sommeil la veille du premier jour à cause d’un gars qui ronflait dans ma cabine, les crises de rire sur la péniche avec les copains de France, Suisse, Tahiti et d’ailleurs, les échanges avec des gars comme Bart de Zwaart et d’autres compétiteurs passionnés de longue distance et d’aventure, les énormes bagarres sur l’eau, la surprise que j’ai ressenti à me retrouver à la même vitesse que certains très bons rameurs actuels en étant sur une planche plus large.
Et surtout le dernier jour, celui où j’ai complètement décroché, malade comme un chien, vomissant le long du parcours, le camel bag troué, sans eau, sans force, avec le vent dans le nez tout le parcours. Je parlais même avec les canards parce que je n’en pouvais vraiment plus. J’avais le sentiment presque apaisant d’être arrivé totalement au bout de mes capacités. Atteindre un état second, savoir que tu ne peux pas donner plus que ce que tu donnes, même avec la meilleure volonté. Et l’émotion de l’arrivée, le partage d’une expérience hors du commun avec les autres… C’était énorme.
Peux-tu nous présenter le matos utilisé et nous dire comment il a fonctionné dans les conditions difficiles de cette édition ?
J’ai fait un choix assez personnel. Je n’étais pas sûr du tout des capacités au niveau de mes jambes d’enchainer tant de kilomètres autant de jours consécutifs, alors j’ai décidé d’utiliser une planche plus large que les autres, mais très rapide tout de même sur le plat. J’ai choisi la nouvelle Fanatic Strike 14×25. Elle a parfaitement rempli son rôle. Son confort est incroyable et j’ai réussi a rivaliser avec elle contre certains des élites équipés de la 14×21,5.
Maintenant, je sais que si je veux vraiment être plus compétitif l’année prochaine, il faudra que je passe à une planche plus étroite.
Que dire à ceux qui souhaiteraient s’aligner sur le SUP 11 City Tour l’année prochaine ?
Si vous le faites, vous ne le regretterez pas. C’est une superbe expérience à pleins de niveaux. Mais préparez-vous bien, physiquement, psychologiquement, pas seulement pour faire une performance, mais surtout pour éviter de souffrir et prendre du plaisir.
On t’a vu t’investir sur de nombreuses organisations d’événements ces dernières années, c’est quelque chose qui te tient à coeur ?
Oui cela me tient à coeur. J’ai commencé à organiser des compétitions de Stand up Paddle alors que j’étais encore en rééducation en 2013. C’était une manière pour moi de me rendre utile à un moment où je ne pouvais pas pratiquer moi même, et de partager ma vision du Stand up Paddle, en créant des événements uniques et en privilégiant systématiquement les parcours dans le sens du vent.
J’ai trouvé sur ma route des personnes qui ont cru en moi et m’ont donné les moyens de mettre en oeuvre des événements de grande envergure comme le Fort Boyard Challenge, le Mondial du vent, la Thonon SUP race 2017, le championnat de France 2013. Je m’occupe également de la partie logistique de l’Eurotour et je suis investi auprès de diverses organisations sur la direction de course.
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