Joelle Terrien vient encore d’accomplir un exploit remarquable en solo et en toute discrétion. La grande aventurière du SUP vient de relier Châlon-sur-Saône à Barcelone en moins trois semaines. Ravie et honorée de recevoir un message de sa part lui demandant un petit coup de main à l’arrivée, la petite équipe de TotalSUP, justement basée à Barcelone s’est empressée de faciliter son arrimage dans la capitale catalane. Surpris par son incroyable forme après un tel défi et son état d’esprit unique, on a bien sûr profité des deux jours passés ensemble pour lui poser plein de questions.
Joelle, tu viens encore de réaliser un exploit en SUP en solo. Peux-tu nous rappeler les éléments clés de ce nouveau périple?
Afin d’éviter de me stresser avec des histoires de batteries à charger, je n’utilise pas de montre GPS. Du coup, il m’est toujours difficile d’affirmer un nombre exact de kilomètres effectués. La navigation ignore la ligne droite, cependant, j’ai mesuré sur Google Earth pour trouver, à la louche, environ 960km! Soit 170 km sur le Doubs et la Saône pour commencer, 325 km sur le Rhône à partir de Lyon, 75 km sur le canal du Rhône à Sète, puis 390 km sur la mer.
Je suis partie sur le Doubs, le matin du lundi 15 août, au nord de Châlon-sur-Saône. Commencer une navigation en centre ville à Châlon (comme je l’avais annoncé) n’était ni très inspirant, ni très discret. A Verdun sur le Doubs, j’ai pu prendre le temps nécessaire pour préparer la planche et charger les bagages dans un coin tranquille. Ensuite, Michel (ndlr: Michel Terrien, son mari) avait la possibilité de faire de jolies images sans problème de stationnement.
Le dimanche 4 septembre, je suis arrivée vers 18h30 dans le port Olympique de Barcelone après avoir traversé des régions de vignobles (Bourgogne, Beaujolais, Côtes du Rhône, Languedoc-Roussillon, etc…), un bon nombre de grandes villes (Mâcon, Lyon, Valence, Avignon, Sète, etc…) de jolis villages, des sites industriels et des sites touristiques, puis longé des plages de windsurf et admiré des criques aux eaux cristallines.
Ah, oui, il faut aussi dire que j’ai été obligée de porter tout mon bazar sur plus d’une vingtaine de kilomètres au total, histoire de contourner une multitudes de barrage : pas moins de 16 rien que sur le Rhône! Un barrage, c’est au minimum 800 mètres de “portage”, certains nécessitèrent plus de deux kilomètres de portages et ce ne furent pas les mieux pavés!
Qu’est ce qui te pousse à réaliser ces incroyables défis chaque année? Quand as-tu commencé et peux-tu nous rappeler tous les périples que tu as réalisés jusqu’à aujourd’hui?
J’aime ça!
J’ajoute que ce sont toujours des parcours qui me racontent une histoire. Les cours d’eau, les mers et les océans sont des voies de circulation ancestrales qui racontent l’histoire de l’humanité, c’est vraiment lisible à la vitesse à laquelle j’avance. Mes aventures sont des voyages qui m’entrainent vers une incroyable quantité de découvertes. En partant, j’explore le passé, le présent et la nature, de fait j’apprends à me connaitre un peu plus.
J’ai commencé avec la Loire en 2012, un merveilleux fleuve sauvage qui respire avec l’océan. J’ai enchaîné, en longeant la côte Méditerranéenne de Marseille jusqu’à Rome en 2013. En 2014, Corralejo(ndlr: sur l’île de Fuerteventura, Canaris) fut une base de départ : j’ai fait la traversée vers Lanzarote que j’ai entièrement tourné avant de traverser dans le sens inverse pour longer la côte Est de Fuerteventura AR. En 2015, j’ai exploré les lacs Suisses puis descendu le Rhône en traversant le lac Léman avec “terminus” à Lyon.
Quels sont les éléments qui ont motivé le choix de ton parcours cette année? Quand as tu décidé que ce serait celui-là et comment as tu préparé ta feuille de route? T’attendais-tu à arriver si vite?
Cette année, je n’avais pas d’idée très précise sinon celle d’aller à Barcelone. Il fallait trouver un parcours assez long et “faisable”.
Ayant terminé à Lyon en 2015, j’étais restée sur ma faim de Rhône et de Saône. Mon enfance a été bercée par les histoires maternelles le long de la Saône et paternelles le long du Rhône, j’avais envie d’aller à la rencontre des souvenirs.
En secouant “tout ça” j’ai tiré un trait de Nantes en direction de l’est, puis un trait de Nantes à Barcelone et j’ai vu qu’un beau triangle se dessinait et hop, ma décision était prise.
Comme d’habitude, j’ai lu les forums des “rameurs assis” pour trouver des informations au sujet du parcours et de ses difficultés. Il faut pas mal relativiser ce qui se trouve sur ces forums, mais en recoupant les différents récits, et en y ajoutant l’expérience dont je dispose maintenant en SUP trip, il était possible de se faire une idée. Le point noir, c’était les portages. Venait ensuite le problème du vent.
La navigation avec une planche chargée oblige à disposer de bonnes conditions météorologiques, je sais qu’il est toujours possible de rester bloquée à défaut, et puis tout peut arriver, de la casse matériel à la casse de la bonne femme.
Sur ce coup, après avoir grossièrement évalué la distance à parcourir, il me semblait possible de boucler la boucle en un mois mais rien n’était certain. Bien que l’avancée sur un fleuve comme le Rhône soit facilitée par le courant, les portages étaient autant de point d’interrogation quant au temps qu’ils allaient neutraliser.
Je doute toujours beaucoup de la réussite de mes projets SUP trip et j’en doute jusqu’à l’arrivée. C’est peut-être une des raisons qui fait que je n’ai encore jamais utilisé tout le temps que je m’offre au départ… Quand il fait beau, j’avance en me disant que le lendemain est encore inconnu. Quand il pleut parce que le vent est absent, j’avance en me disant que c’est une chance à saisir. Quand il y a du vent “dans le bon sens” j’avance en me disant qu’il faut en profiter… J’ai toujours une bonne raison pour avancer!
Et puis… je dois avouer que j’aime vraiment être sur l’eau. Dès que je m’arrête pour une raison ou une autre (fatigue, faim, nécessité de refaire des provisions, paysage idyllique, etc…) je n’ai qu’une hâte : partir encore!
Alors, non, je ne pensais pas arriver si vite.
Alors, non, je ne suis pas surprise d’être arrivée si vite.
Comment t’es-tu nourrie tout au long du parcours?
En fait, je me nourris au fil de la journée et je n’ai pas vraiment faim le soir. Contrairement à ce que les gens pourraient imaginer, ma diététique en trip est particulièrement “n’importe quoi’! C’est toute l’année que je suis attentive à ce que je mange, pas pendant mon mois de vacances! Pendant la durée de l’aventure, je n’ai aucune règle. Cette année, j’ai vécu avec ce que j’avais emporté (amandes, pain, fruits secs, lait concentré) pendant un bon bout de temps car il était assez difficile de trouver des villages facilement accessibles sur le trajet. Pour assurer le minimum en “produit frais” j’ai profité des plantes que je connais bien et qui poussaient en abondance le long des cours d’eau jusqu’à ce que le “sud” s’affirme. Après Montélimar, il était plus facile de grappiller des figues que de cueillir des pissenlits. Parfois, j’ai été invitée à partager un repas sur un bateau, dans un cabanon, sur la plage et chaque fois ce fut une réjouissance que de pouvoir manger un repas “civilisé”!
Dans quelles conditions as-tu dormi pendant 19 jours? Quelles sont les difficultés liées à trouver/monter un bivouac?
Je dors super bien sous ma mini-tente. Rentrer “chez moi” pour passer la nuit est toujours super agréable à vivre. Le long des cours d’eau, il faut trouver un endroit plat suffisant, c’est toujours possible, comme il est toujours possible de “bien planter” les piquets.
C’est sur les plages que se pose le problème de fixer la tente, d’autant plus que le vent est souvent de la partie. La soirée commence donc souvent par une chasse aux gros cailloux, lesquels remplacent les sardines.
Quand il n’y a que du sable à l’horizon, il faut faire avec “rien” c’est à dire utiliser ce dont je dispose pour bien arrimer ma maison au sol. Par exemple, mes sandales enfouies dans le sable furent parfois d’excellents points d’ancrage en plus d’une attache à un arbre d’un côté et à la planche de l’autre.
Parle-nous de ton matériel!
Côté matériel, j’ai la même planche Earth SUP 12’6x 28 depuis trois ans. C’est maintenant une planche “collector” car j’ai du mal à imaginer qu’aucune autre planche ait pu parcourir autant de kilomètres, de l’Atlantique à la Méditerranée, des lacs alpins aux fleuves et aux rivières.
La planche était équipée avec un aileron Neyra Fins Plywood référence 15-131 acheté fin 2015 et avec un leash gagné en participant à une course.
Afin de faciliter le portage, j’avais choisi un chariot ultra light qui a parfaitement rempli son job, le chariot Bic Sport ECO S.
En ce qui concerne le matériel de camping et les sacs étanches, ce sont les mêmes depuis 2013, rien de très spécifique. L’ensemble est fixé sur la planche avec des élastiques achetés au mètre dans un magasin d’accastillage.
Cette année, j’ai eu la chance d’avoir une pagaie spécifiquement conçue par Dwalin Paddles. Matthieu Meneuvrier a imaginé une pagaie extraordinaire à base de matériaux naturels (lin et jute). Elle est parfaitement en harmonie avec mon inspiration “nature”, assez légère pour que mes bras et mes épaules supportent sans le moindre soucis la répétition des mouvements, assez solide pour résister sans broncher à tout ce que je lui ai imposé. J’ai adoré!
Quels resteront les meilleurs et pires souvenirs de ton voyage?
Tout est toujours relatif et relativisé. Il y a des moments qui ont été magiques et d’autres qui ont été terribles, mais des uns naissent les autres. L’ombre et la lumière sont indissociables.
J’ai adoré être accueillie à l’arrivée, c’est la première fois que ça m’arrive et c’était vraiment cool!
(ndlr: c’est quand tu veux et à bras ouverts Joelle Terrien)
Sais-tu déjà quelle sera ta prochaine aventure?
Pas du tout!
Je plane encore avec la saveur de celle-ci imprégnée dans tous mes sens.
La suite est vivre!
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