A la fin du mois de mai, Cyril Derreumaux, un entrepreneur français de 44 ans expatrié aux Etats Unis, se lancera dans une aventure épique: une traversée solo en kayak d’une partie de l’océan pacifique de 2100 miles nautiques (4000 kilomètres) de San Francisco à Hawaï. Il prévoit une expédition de 70 jours à bord de son kayak de 23 pieds. Chargée d’environ 150 kilos de nourriture et d’équipement électronique, l’embarcation habitable, baptisée “Valentine” du nom de la soeur de Cyril, a été construite sur mesure, pèse près de 200 kilos et est conçue pour se redresser automatiquement en cas de chavirage. Valentine dispose d’une petite cabine juste assez grande pour que Cyril puisse y dormir et échapper aux éléments déchaînés le cas échéant.
TotalSUP a le plaisir de s’engager comme partenaire média de ce projet un peu fou et aura le plaisir de relayer l’aventure de Cyril Derreumaux au cours des 3 prochains mois sur les pages Facebook et Instagram de TotalSUP et TotalPaddle. Rencontre avec un homme pas tout à fait comme les autres.
Bonjour Cyril Derreumaux, commençons par le commencement… qui es-tu ?
Bonjour Mathieu. Je suis un français de 44 ans, originaire du nord de la France. Depuis la fin du lycée, j’ai beaucoup voyagé et habité dans différents coins du monde: Italie, Brésil, Espagne, Angleterre, Argentine. En fait, je me considère un citoyen du monde. Mais depuis 2008, je suis basé à San Francisco où j’ai découvert l’univers de la pagaie et où j’ai monté diverses entreprises dont le but est de faire vivre ma famille tout en me libérant le maximum de temps pour mes passions. Je suis entre autres, le distributeur de la marque de surfski Fenn sur la partie Nord-Californie et j’ai également monté un site e-commerce autour des sports nautiques Onthewater360. Je suis papa de deux garçons, Oliver et Simon qui ont 15 et 12 ans.
Se lancer dans la traversée du Pacifique n’est pas commun. Comment définirais-tu la philosophie de vie qui t’a amené à cette aventure ?
En fait je commence toujours à présenter mon projet en expliquant que je suis un mec comme les autres, quelqu’un de tout à fait normal, je ne suis pas un immense sportif ou une bête physique. Tout vient du fait que j’ai eu la chance d’avoir des racines et un soutien familial qui m’ont donné une solidité mentale, qui m’a donné les ailes pour m’envoler et aller au bout de mes rêves. J’ai décidé un jour que la vie devait être une aventure, ce qui correspond bien à ma personalité optimiste, toujours à la recherche de la réponse à la question: “comment on fait pour être heureux ?”. Cette réponse je ne la trouve pas dans les choses matérielles mais dans tout ce qui me fait rêver. Quand on trouve quelque chose qui nous fait véritablement vibrer, tout devient plus facile. Avec cette philosophie de vie, j’ai tout simplemet suivi mon coeur et mes aspirations.
Quel est ton parcours sportif pour en arriver à te lancer sur un défi comme celui-ci ?
A partir du moment où je suis arrivé aux Etats-Unis en 2008, j’ai commencé à faire de la pirogue. Jusque là, mon sport c’était le foot. Et donc en arrivant en Californie je me suis mis à la pirogue en équipage de 6 (ndlr: V6, appelé OC6 aux Etats-Unis). Et j’ai commencé à faire des premières courses localement où je découvrais avec surprise que j’aimais l’endurance et puis en fait l’ultra endurance.
Rapidement je me suis lancé avec différentes équipes sur des courses mythiques. D’abord la Molokai Hoe en V6 que j’ai faite pour la première fois en 2010 puis encore 2011, 2014 et 2015. J’ai fait aussi la Yukon River Quest (750 kms) sur différentes embarcations, à 6, 4 ou 2. J’ai fait également la California 100 (miles) en canoë de rivière. C’est sur ces compétitions que je me suis rendu compte que j’avais un très bon mental sur les longues distances, sans être le plus athlétique, ou le plus fort. Je suis en général avec des mecs super barraques et moi le plus petit gabarit souvent devant en V6, qui insuffle la cadence.
Dans ma pratique régulière, je peux dire que le surfski c’est vraiment le sport que j’adore et que je pratique le plus souvent maintenant dans la baie de San Francisco.
Comment est né ce pari fou de traverser le pacifique en kayak en solo ?
En fait en 2016 j’ai formé une équipe, la Team United Nations avec mon ami brésilien Tiago, mon ami americain Carlo et mon ami islandais Fiann pour traverser le Pacifique en aviron de mer dans le cadre de la course The Great Pacific Race. On a poussé très fort pour battre le record de la traversée et ça a été une expérience incroyable de 39 jours avec une arrivée à Honolulu où nous attendait la famille, et un sentiment que l’on ne peut connaitre que quand on fait une traversée comme ça. Sur le corps par contre, c’est un vrai traumatisme et il m’a fallu 3 ou 4 mois pour récupérer en faisant du yoga et des étirements. Et suite à la traversée, la conclusion c’est que je m’étais juré de ne plus refaire ça. En fait pour battre le record on a tenu une discipline très stricte qui consistait à ramer par équipe de 2 toutes les deux heures et d’aller très vite sur les changements d’équipe. C’était tellement dur, je me suis dit que plus jamais je ne m’infligerai autant de souffrance physique et mentale.
Et puis petit à petit je me surprends à rêver, à lire des livres de traversée du pacifique et puis je rencontre Antonio de la Rosa, un espagnol, juste avant qu’il se lance dans sa traversée de Sausalito à Hawaii en stand up paddle. Je passe 15 jours à l’aider dans la préparation et je lis des bouquins et notamment “The Pacific Alone” qui est l’histoire de Ed Gillet, un américain qui a traversé le Pacifique en kayak en 1987 en 64 jours, sans cabine, sans téléphone satellite, en navigant au sextan avec seulement 200 kilos de nourriture qu’il a chargé à l’avant. Depuis 1987, d’autres personnes ont tenté cette expédition, sans y arriver.
Je m’intéresse alors à une autre personne, un britannique qui a traversé l’Atlantique Nord en septembre 2001, Peter Bray dont je trouve le numéro sur internet et qui m’explique au téléphone que son kayak avait été parfait pour sa traversée et qu’il ne s’était pas retourné une seule fois. D’ailleurs son exploit est tristement passé totalement inaperçu car c’est arrivé 2 jours avant l’attentat du 11 septembre. Il me donne le numéro du constructeur, Robin Feloy qui me dit d’abord qu’il est à la retraite et que l’histoire de Peter Bray remonte à 20 ans… mais finalement j’arrive à le convaincre à designer mon kayak en Angleterre et l’aventure peut commencer.
Comment t’es-tu préparé physiquement et mentalement ?
En fait, le projet a un an de retard. Mon départ était prévu le 1er mai 2020 et la crise sanitaire a tout arrêté quasiment à la dernière minute. Le 27 mars 2020, je devais mettre le kayak sur un container en Angleterre, mais le 24 mars l’Angleterre ferme et je dois tout arrêter et repousser tout d’un an alors que j’étais prêt mentalement et physiquement. J’accepte ça avec philosophie et je me dis qu’en attendant le départ il faut que je me continue à me tenir prêt pour 2021.
Du coup j’ai enchaîné les grosses sorties et les expéditions sur 2020 en commençant le jour que j’avais fixé initialement pour mon départ, le 1er mai 2020, avec le tour des 10 îles de la baie de San Francisco, soit 38 miles. Et puis, la semaine suivante je descends toute la rivière Sacramento sur 9 jours en reliant Redding et San Francisco. Ensuite je me suis lancé sur le défi de relier les 7 ponts de la baie de San Francisco, avec un record de 10h30 que j’ai battu de 15 minutes. Puis je me dis “tiens ce serait cool d’enchainer la traversée du Lac Tahoe et de la baie de Monterrey dans le même week-end“. Ensuite je me dis que j’ai besoin de retrouver l’océan pour avoir une piqûre de grosses vagues et de gros vents et je remonte un bateau à voile de La Paz au Mexique à San Francisco. Ensuite j’ai enchaîné un périple en vélo de Los Angeles jusqu’à San Francisco, en dormant dans ma petite tente. Puis j’ai remonté un catamaran du Mexique jusqu’à San Francisco.
Toutes ces aventures je les enchaine courant 2020 dans le but d’être prêt pour ma traversée en 2021. Avant l’arrivée du bateau, j’avais aussi construit une reproduction en bois de la petite cabine du kayak que j’avais mis sur une remorque et j’avais commencé à passer des jours et des nuits dedans pour commencer à m’habituer à l’isolement et l’étroitesse.
Parle-nous de ton embarcation justement !
J’ai nommée le kayak “Valentine” comme ma petite soeur. Comme j’ai trois frères et une soeur, le choix du nom a été facile.
En fait avec Rob Feloy, on est parti tout de suite sur un bateau sur lequel je voulais ajouter un système de propulsion supplémentaire permettant d’utiliser les jambes. Dans son livre, Ed Gillet, explique qu’en arrivant à Hawaii, ses jambes étaient atrophiées car il ne les avait pas utilisées depuis deux mois et qu’il ne pouvait plus marcher. Alors ça m’a donné l’idée de rajouter un système de pédalo supplémentaire afin de pouvoir continuer à utiliser mes membres inférieurs, alterner bras et jambes pour une meilleure répartition de l’effort et me permettre de continuer d’avancer, notamment quand j’ai besoin de mes mains ou de reposer mes bras. C’est une fonctionnalité que l’on a intégré du coup dès le début. On a installé le système de propulsion Mirage Drive de Hobie en calculant que si je peux faire un peu de “pédalo” 3 heures par jour, ca peut faire rapidement plusieurs miles par jour, voire jusqu’à 1/5 de ma traversée. En décidant de pédaler pendant les repas, je peux enlever potentiellement jusqu’à 10 jours de rame.
Autre avantage de ce mode de propulsion, c’est qu’avec un bateau de 400 kilos, face au vent c’est plus facile d’avancer avec le Mirage Drive car la puissance vient de dessous ! C’est une configuration non conventionnelle, mais je ne cherche pas à obtenir un record du monde ou à faire plaisir aux puristes de la pagaie qui pourraient froncer les sourcils sur ces méthodes. Ed Gillet lui avait un kite en plus de sa pagaie, ce qui n’enlève rien à son exploit. Au final, c’est moi qui suis assis, c’est moi qui pagaie 24h / 24 et 7j / 7. C’est mon aventure, alors je vais le faire comme je le souhaite.
En fait, le retard pris à cause du covid a été une chance. A la réception de Valentine, je me rends compte que j’ai encore beaucoup de travail à faire dessus pour pouvoir partir. C’est un kayak super bien designé, et pour l’apprivoiser je décide de passer beaucoup de temps dessus et notamment sur l’eau. Un jour par exemple, je me rends compte que je n’ai pas assez d’air. Je me couche un soir dans la cabine à 20h et je me réveille 3 heures plus tard avec une hyper ventilation et un mal de tête symptomatique d’un manque d’oxygène. Il a donc fallu que je travaille sur une ouverture plus grande. Heureusement qu’il y a eu ce retard d’une année, car en 15 jours je n’aurais jamais eu le temps l’année dernière de faire toutes les améliorations nécessaires, entre le jour de la réception du bateau et le jour du départ.
Et niveau sécurité?
En fait, j’ai des back-up pour tout et même si tout pète sur le plan électrique, j’ai des back-up manuels. J’ai deux systèmes de propulsion, deux système de batteries, des panneaux solaires, deux systèmes de désalinisateurs, trois systèmes de trackers, et bien sûr une ligne de vie toujours attachée à l’embarcation. Je suis également en contact par téléphone satellite avec mon équipe de routage.
Quel trajet vas-tu suivre ?
L’idée est donc de partir de San Francisco en ramant vers l’ouest tout en sachant que les premiers courants sur le premiers tiers de la traversée vont me porter vers le sud.
Quel est le coût associé à ton aventure et comment es-tu financé ?
Le bateau coûte 80 000 € + 15 000€ d’équipements + des frais aléatoires. On va dire 100 000€ pour arrondir. C’est Greg Norman, un golfeur australien qui était un grand champion et avec qui je bossais dans le vin en arrivant aux Etats-Unis, qui a été le premier à me soutenir. Son motto c’est “attack life!” (ndlr: “attaque la vie !”). Et avec son CEO, ils étaient ok pour me suivre si j’étais prêt à mettre un investissement personnel à la hauteur du leur. Ils ont mis 20 000 dollars dans le projet et j’en ai mis autant et grâce à ce premier financement j’ai pu monter un dossier de sponsoring pour aller chercher de l’argent. Parmi mes sponsors, il y a Standard Process, une entreprise qui produit des barres nutritionnelle, qui a accepté de me fournir en barres de 550 KCal qu’ils appelent la “Possible Bar”, utilisée par divers athlètes et explorateurs. En tout j’ai donc mis 30 000€ de ma poche avec le calcul que je pourrai récupérer cet investissement en vendant le kayak après la traversée.
J’ai aussi la fierté d’avoir été accepté dans The Explorers Club, un groupe assez prestigieux présent aux US et dans le monde entier qui reconnait les esprits aventuriers et notamment les pionniers. Que ce soit sur la lune ou au pôle nord, les drapeaux de The Explorers Club ont fait la plupart de toutes les premières fois.
Ce qui me fait faire aussi d’énormes économies, c’est que je peux compter sur une très grande équipe de bénévoles tous ultra spécialistes dans leur domaine. Des matérieux composites, au routage, en passant par la photographie ou le site web, une dream team s’est mise en place autour de moi faite de gens tous passionnés par le projet et prêts à s’impliquer pour m’épauler.
Comment te sens-tu à moins d’un moins du départ ?
Jusqu’à maintenant j’etais sur ma routine et j’ai tout testé et appris sur le bateau: le life-raft, la trousse de secours, l’électronique de communication, l’électrique du bateau, faire les connections, mettre en route les désalinisateurs, etc. Tout s’accèlere médiatiquement depuis deux semaines. Les médias californiens et hawaiiens s’intéressent à mon projet, ce qui me prend pas mal de temps et d’énergie en interviews et podcasts. Il faut maintenant que je me reconcentre sur les derniers petits détails car le départ approche.
Pour suivre l’aventure de Cyril Derreumaux sur les 3 prochains mois, rendez-vous sur:
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